Rien ne va plus à France Nature Environnement (sur la forêt)
‹‹ Je vous prie de faire circuler ce texte dans tous les réseaux que vous connaissez, car l’ignorance est la pire des entraves.
Comme je souhaite être aisément compris, on me pardonnera de récapituler nombre d’articles précédents de Planète sans visa. Ce qui nécessite, avant de délivrer l’information du jour, si dérangeante, d’en revenir au passé. France Nature Environnement (FNE) est la grande fédération de protection de la nature en France. Héritière des sociétés savantes de professeurs du XIXème siècle, elle a pris son essor après les événements de mai 1968, rencontrant alors une jeunesse vivante et insolente qui allait créer ou vivifier quantité de structures locales et régionales. C’est ainsi qu’est née la Frapna, dans la région Rhône-Alpes. C’est ainsi que se renforça Bretagne Vivante, ci-devant la SEPNB.
Chaque région compte une structure à sa dimension qui rassemble la plupart des associations locales de protection de la nature. Et à Paris, longtemps abritée par le Muséum national d’histoire naturelle, FNE s’est imposée comme la fédération de ces fédérations régionales. Comme une représentation centralisée des actions menées sur le terrain. Avec un conseil d’administration censé représenter les provinces. Bon, ce que je pense, et que j’ai déjà beaucoup écrit, c’est que FNE, dont les finances sont essentiellement liées aux relations entretenues avec le ministère de l’Écologie et l’État, s’est simplement bureaucratisée. Cela arrive partout, presque toujours. Il arrive un moment où seul un grand coup de torchon peut permettre de revitaliser le malade.
Seulement, certains peuvent avoir intérêt à ce que la maladie perdure, ou s’aggrave. Un groupe qui ne compte pas plus de dix personnes ne souhaite visiblement pas qu’on puisse venir déranger son étonnante gestion de la structure. J’ai écrit une série au vitriol sur FNE, et j’invite ceux qui auraient le temps à y jeter un regard (ici en quatre parties). Ils y verront jusqu’où sont allés certains responsables dans l’aide concrète à la déforestation massive dans les forêts tropicales du monde. Celles dont on parle avec des trémolos du haut des tribunes.
Je ne sais pas s’il existe un lien, fût-il ténu, mais je dois avouer que je l’espère. Cette série d’articles a beaucoup circulé, et j’en suis heureux, car tel est bien mon rôle : rendre publiques des informations qui ne trouvent pas leur place dans l’univers des médias officiels. Et même si je n’y suis pour rien, je suis de toute façon satisfait de voir enfin bouger les choses. D’abord, sur la forêt. Les mamours que la bureaucratie de FNE accorde aux gestionnaires et proprios de la forêt française semble n’avoir plus de limites. Dans un document non public, je lis des choses incroyables à mes yeux. Il s’agit d’une version très avancée d’un protocole d’accord - à l’heure qu’il est, il est probablement signé - entre FNE, la Fédération Nationale des Communes Forestières de France (FNCOFOR), les Forestiers Privés de France (FPF) et enfin l’Office national des forêts (ONF).
Les trois derniers cités sont évidemment les acteurs majeurs de la sylviculture en France. Leur point de départ et d’arrivée est le même que celui des zootechniciens dans le domaine de la bidoche industrielle : comment gagner le plus possible d’argent avec un minimum d’investissements et d’emmerdements. Parapher un texte avec ces gens-là pourrait avoir un sens s’il s’agissait de les amener, de gré ou de force, sur le chemin de la protection. Mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit. FNE, obsédée par la reconnaissance, et tout ce qui peut l’accompagner, FNE a contresigné un texte indigne.On y parle de la forêt, lieu de beauté et d’harmonie, dans la langue épouvantable de l’adversaire. Car, désolé, il reste des adversaires. Deux exemples, parmi tant d’autres : « La mobilisation des stocks en forêt offre un potentiel de développement de la production de bois, matériau ou source d’énergie (…) Le prix des énergies fossiles est tendanciellement haussier, même si des fluctuations parfois brutales se produisent. Cette évolution donne une nouvelle valeur au bois énergie et permet l’émergence d’exploitations jusqu’ici non rentables ».
Ce ton me donne envie de vomir. FNE est donc d’accord pour « exploiter » des forêts jusqu’ici épargnées. Au nom de la « rentabilité ». Beuark ! Second extrait : « En dehors des réserves intégrales, nécessaires pour étudier les dynamiques naturelles, les forêts françaises ont vocation à être gérées pour optimiser les différents usages et assurer le renouvellement des peuplements ». Lisez, je vous en prie, avec moi. Sachez, avant tout, que les réserves intégrales sont des confetti. Peut-être quatre mille hectares dans toute la France, à comparer aux près de 16 000 000 d’hectares de forêts que compte notre pays. Donc, rien. Mais ce n’est pas encore suffisant, car il est précisé que le rôle de ces malheureuses réserves est seulement « d’étudier les dynamiques naturelles ». Pas de laisser des lieux uniques à la postérité et à l’admiration, oh non ! Étudier. Étudier quoi ? Mais bien entendu le moyen de « gérer » tout le reste. Ce bout de phrase, à lui seul, légitime l’irruption de la tronçonneuse dans pratiquement toutes les forêts de chez nous. Sous la signature de FNE. Quand les choses sont à ce point devenues folles, il ne reste plus qu’à crier : Au fou !
Cette régression n’a heureusement pas échappé à tout le monde. Dans la région Rhône-Alpes, où tant de valeureux militants de la nature - eh, Daniel Ariagno, vive le pont de l’Université ! - se battent depuis des décennies, l’accord entre FNE et tronçonneuse ne passe pas. Du tout. Six, parmi les plus valeureux, membres du réseau Forêts de FNE (via la Frapna), viennent d’envoyer ce qu’il faut appeler une lettre de révolte et de rupture. Leurs noms sont connus dans tout le milieu naturaliste, et je les salue d’un bravo : Pierre Athanaze, Philippe Lebreton, Gilbert Cochet, Hubert Tournier, Jean André, Philippe Cochet. Je vous mettrai dans la partie Commentaires, ci-dessous, le texte intégral, pour que vous puissiez juger par vous-même. Et me contenterai de quelques extraits, qui résonnent comme autant de coups de bâton :
« Nous sommes (à moitié) étonnés, mais stupéfaits et attristés de constater la dérive de ceux qui, loin du terrain, recherchent un “consensus forestier à tout prix”. Une première remarque, plus que symbolique, est que, dans les trois documents du projet de plateforme couvrant 15 pages, n’apparaissent à aucun moment les mots-clés NATURE et PROTECTION : les avez-vous oubliés, devrions-nous en avoir honte ? Nous pouvons en un sens vous remercier de les abandonner à notre usage ; ce sera déontologiquement plus clair.
« Puisque la collaboration avec le monde forestier vous paraît normale et riche de perspectives, pourquoi ne pas faire de même avec AREVA ou le CEA, tellement soucieux eux aussi, dans leurs discours, de croissance verte et de développement durable, tellement convaincus d’apporter la solution au réchauffement climatique ? Dans les deux cas, depuis le Grenelle, ne serions-nous pas abusés puis récupérés par des intérêts technocratiques, corporatistes et pseudo-économiques ? ».
Je pense que tout est dit, et bien dit. La critique ne vient plus seulement d’un écologiste isolé que l’on traite par le mépris du silence - moi -, mais désormais de l’intérieur le plus profond du mouvement bureaucratisé. La rébellion des six annonce d’autres craquements. J’ai une autre histoire à raconter sur le même sujet, mais il faudra attendre un jour ou deux. Elle concerne la Ligue ROC, qui s’appelait jadis le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), du temps où l’immense Théodore Monod en était le président. Comme vous le verrez, les choses ont changé, et de manière désastreuse. La Ligue ROC, je le précise, est l’un des socles de FNE. Elle a perdu toute légitimité populaire, mais sa puissance augmente d’année en année. Il faut dire que dans le même temps, elle n’a cessé de se rapprocher des ors de la République, petits fours compris. Ceci explique peut-être cela. La suite bientôt. ››
Un autre regard de Fabrice Nicolino, cette fois-ci, sur le ROC (Rassemblement des Opposants à la Chasse) :
Mésaventures du ROC (de Théodore Monod à Hubert Reeves)
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