No impact man de Colin Beavan est un livre qui pose au fond le problème de l’articulation entre comportement individuel et décision collective. Ces deux aspects sont absolument complémentaires d’autant plus que nous agissons par mimétisme ou interaction spéculaire : tu fais parce que je fais parce que nous faisons tous. Colin Beaval espère une « réaction en chaîne » : plus nous serons nombreux à imiter le no impact man, plus la nécessité de faire de même se répandra dans la société. Mais dans une société bercée par le confort et la sidération des masses, il n’est pas évident aujourd’hui de se diriger vers la simplicité volontaire et le refus de l’ascenseur quand il faut grimper 9 étages.
Pourtant, c’est possible, et la réduction des ressources naturelles nous incitera de toute façon à limiter notre empreinte écologique. Sauf régime autoritaire et inégalitaire, les politiques suivront alors l’exemple des objecteurs de croissance et seront eux-mêmes en nombre croissant à modifier leur mode de vie… Voici quelques extraits du livre :
1/7) introduction
Pendant un an (en 2007), ma femme Michelle, ma fille Isabella et moi, qui habitons en plein cœur de New York, avons essayé de vivre sans causer d’impact sur l’environnement. Autrement dit, nous avons fait de notre mieux pour éviter de produire des déchets (finis les plats à emporter), réduire nos émissions de dioxyde de carbone (finis la voiture et l’avion), ne plus rejeter de substances toxiques dans l’eau (fini les détergents), arrêter d’acheter des denrées de contrées lointaines (finis les fruits de Nouvelle-Zélande). Evidemment, finis aussi : l’ascenseur, les aliments conditionnés, le plastique, la climatisation, la télé, les articles neufs…
Je n’avais pas l’intention de faire dans la demi-mesure, de me contenter d’utiliser des ampoules basse consommation ou de recycler à tout-va. L’idée était d’aller aussi loin que possible, d’atteindre le zéro impact environnemental. Je visais non seulement le zéro carbone mais aussi le zéro déchet, zéro pollution dans l’air, zéro toxine dans l’eau, zéro ressource pompée à la planète. Je ne voulais aucune empreinte écologique. J’avais décidé de contrebalancer tout impact négatif par un impact positif. J’avais conscience que ce serait dur. J’ai donc décidé que nous procéderions par étapes. Je ne tenais pas à ce que ma femme et ma fille me quittent. Mais en faisant du mal à ma famille pour ne pas faire du mal à la planète, j’ai mis le doigt sur des choses importantes.
2/7) les raisons d’un engagement
- Dans notre société, il est quasiment impossible d’assouvir ses besoins sans laisser derrière soir une traînée de détritus, de pollution et de gaz à effet de serre. Le jour où la planète ne pourra plus nous offrir cette abondance de ressources, l’humanité tout entière devra faire preuve d’une abstinence surhumaine.
- Evidemment que les Américains achètent des voitures ! L’industrie automobile a fait en sorte que ce soit le seul moyen de transport vraiment pratique. En 1950, une coalition menée par la General Motors a supprimé plus de cent lignes de tramway. L’un dans l’autre, nous autres Américains passons l’équivalent de presque cinq mois de travail par an à rouler en voiture ou à bosser pour payer le coût de nos autos. Dix minutes au volant, c’est 10 % de temps en moins consacré à nos amis. De surcroît, les gens qui vont travailler à pied, à vélo ou en transport en commun ont 24 % de chances supplémentaires d’être satisfaits de leur mode de déplacement que ceux qui font les trajets en voiture.
-- L’Index Planète heureuse mesure le rendement de l’économie d’un pays en termes de santé et de bonheur par tonne de gaz à effet de serre émis. Sur les 178 pays dont l’Index a été calculé, les Etats-Unis se trouvent en 150e position.
- Il est plus facile de s’acheter un iPhone ou une télé à écran plat, de se payer un voyage aux Bermudes ou une quelconque distraction, que de s’interroger sur le sens de la vie.
En quatre jours de notre vie passé, nous avions accumulé plus de 300 litres de détritus sans aucune épluchure. Notre mission pour les semaines à venir : ne plus produire de déchets. Premier jour, ça commence mal : dans quoi se moucher ? J’ai compris que le chemin ne serait pas balisé. Je devrais poser moi-même les jalons de mon mode de vie écolo poussé à l’extrême.
- Et nous devrions arrêter tout de suite de regarder la télé, ajoute Michelle, ne serait-ce que parce que je suis accro. Je vais aussi éviter de faire les magasins, J’irai travailler à pied, et nous devrions commencer à prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur (ndlr : les Beavan habitent au 9ème étage).
Je réussirai même à persuader Michelle de me laisser installer chez nous un container renfermant des lombrics chargés de digérer les déchets organiques afin de les transformer en compost, de façon à ce qu’ils puissent ensuite retourner à la terre. Michelle prenait de son côté un malin plaisir à dire à ses amies : « Ce qu’il y a de rigolo, dans le projet No Impact, c’est de voir mon mari se métamorphoser en femme au foyer des années 1950. »
Parce que le système se fiche de l’environnement, je dois nager à contre-courant. Je suis ravi d’avoir découvert une laiterie qui vend son lait dans des bouteilles en verre consignées. Je suis content d’avoir trouvé du tofu à la coupe, que je transporte dans un récipient qui m’appartient. Il existe des petites structures qui fonctionnent sans gaspiller de ressources, ce qui me procure le délicieux sentiment de faire un bras d’honneur au système.
4/7) Colin et Isabella
J’installe ma fille sur mes épaules et nous descendons les six étages à pied. Juste au moment où nous sortons de l’immeuble, il se met à tomber des cordes. J’incline le parapluie pour mieux la protéger, elle hurle. Le vent retourne le parapluie, les gouttes nous cinglent le visage, Isabella arrête de pleurer. J’ai compris. Elle ne pleure pas parce qu’elle se mouille ; elle pleure parce que le parapluie l’empêche d’être arrosée. Ses chaussures et son pantalon sont trempés. Pour rigoler, je saute dans une flaque, Isabella rit aux éclats. Elle tend les bras et écarte les paumes pour attraper les gouttes de pluie. Je me mets à l’imiter. A quel moment l’enfant en moi a-t-il disparu ? Tout autour de nous, les gens courent à la recherche d’un abri. Ils ont l’air désespérés, malheureux. Que nous est-il arrivé ?
Un autre événement marquant :
- Papa, appuie sur la lumière, me dit-elle le premier soir où nous rentrons dans notre appartement sans électricité.
- Nous n’avons plus de lumière, mon cœur, nous n’avons que des bougies.
Le lendemain soir en arrivant à la maison, Isabella me dit sans sourciller :
- Papa, appuie sur les bougies.
5/7) nous avons coupé l’électricité
N’oublions pas qu’un quart de la population mondiale n’ont pas accès à l’électricité. Il ne me reste plus qu’à me passer d’électricité. Voilà ce que je dois trouver :
- un moyen d’empêcher le lait d’Isabelle de tourner ;
- de l’énergie pour alimenter mon ordinateur de façon à ce que je puisse tenir mon blog ;
- Comment faire la lessive sans machine à laver ?
Vers 21h30, notre horloge interne nous indique qu’il est temps d’aller au lit. Michelle me confie : « Tu allumes la télé, qui te procure plein de sensations. Tu ne risques rien, tu te contentes de rester tranquille sur ton canapé. Avant, j’étais en hibernation. Maintenant que nous ne regardons plus la télé, je me réveille. » Sans télé, le soir, j’ai commencé à pratiquer la méditation. Michelle et moi prenons le temps de discuter.
Nous avons rétabli l’électricité juste avant Noël 2007. Michelle n’avait pas vu sa famille depuis plus d’un an à cause des émissions excessives de carbone par un voyage en avion. Je me sens très seul. Ce n’est pas seulement parce que le projet No Impact est terminé. Tout d’un coup, je n’ai plus d’identité. Hier, j’étais No Impact Man. Et aujourd’hui? Suivre des règles vous procurent le sentiment d’appartenir à une communauté.
6/7) l’impact psychologique de cette expérience
Une question me taraude à propos du progrès : nous avons, par exemple, des téléphones portables toujours plus sophistiqués ; or si nous passons notre vie, de la naissance à la mort, à changer de joujoux, sans jamais répondre aux questions importantes, progressons-nous, ou bien nous contentons-nous de nous divertir ? Quand je parle de tout cela avec mes amis, ils ont l’impression que je suis contre le progrès. Mais ne pas se soucier de l’avenir n’est pas synonyme de progrès. Ca n’a rien à voir avec le progrès que d’avoir toujours plus de choses. Le progrès réel, c’est faire un pas en avant vers une amélioration.
L’école de la psychologie positive a constaté que l’acquisition d’un nouveau téléphone portable, d’une voiture ou d’une maison en nous procure qu’une bouffée de plaisir éphémère. Pour atteindre de nouveau un pic de bonheur, il nous faut un autre shoot, un autre mobile, une autre bagnole. La vie des gens les plus heureux, ont découvert les psys, n’est pas régie par ce cycle infernal. Les psychologues ont confirmé ce que les partisans de la vie simple professent de manière anecdotique depuis si longtemps : les gens heureux prennent le temps d’apprécier ce qu’ils ont et de savourer leur expérience. Ils ne se dépêchent pas de traverser le « maintenant » pour arriver à l’« après ». Ils privilégient l’instant présent, quel qu’il soit, et y trouvent de l’intérêt.
7/7) la réaction en chaîne
Lorsque nous allons au Angelica Kitchen, avec Michelle, le garçon de salle nous reconnaît et sait qu’il ne doit pas nous donner de serviettes en papier. Au French Roast, le serveur nous dit avoir parlé de nous à des amis. Quand je lui demande pourquoi, il me répond qu’il est fier de ce que nous faisons. Mes amis me rapportent qu’ils ont passé des soirées entières à discuter du projet No Impact. « Bravo pour ce que vous faites, et merci de nous faire partager votre expérience », me disent les lecteurs de mon blog. « Je commence moi aussi à changer ma vie. »
On ne sait jamais d’où part une réaction en chaîne. Qui sait quelle influence chacun de nous est susceptible d’exercer sur les autres ? Au lieu de débattre stérilement de l’utilité de l’action individuelle contre l’action collective, pourquoi ne pas les promouvoir toutes deux sous une appellation globale telle que citoyenneté engagée ? Le système doit certes changer, mais n’oublions pas que le système n’est qu’un groupe d’individus, la somme de toutes nos actions individuelles d’actionnaires, de cadres, de concepteurs de produits, de clients, d’amis, de parents. Cessons d’attendre que le système change. L’action qui déclenche l’effet domino a besoin que chacun de nous se positionne dans la ligne pour que la réaction en chaîne se produise.
Blog No Impact Man (en anglais)
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